Anxiété de solitude chez le chien

L’anxiété de solitude, c’est-à-dire le chien qui ne peut rester seul sans détruire, aboyer ou faire ses besoins partout, est un motif de consultation très fréquent en pathologie du comportement. Les propriétaires baissent les bras bien souvent et beaucoup de chiens souffrant de ce trouble finissent en refuge avec comme mention « ne peut rester seul » ou « a besoin d’une maison avec jardin » ou «pour une personne retraitée ». Les causes de ce problème sont multiples, mais son approche thérapeutique est assez simple.

 

Destructions provoquées par un chien souffrant d’un hyperattachement secondaire à une anxiété intermittente

 

 

Motifs de consultation

 

Avant d’aborder les différentes origines de l’anxiété de solitude, il convient de préciser quelles sont exactement les plaintes des propriétaires. Elles sont généralement de trois ordres : destruction du mobilier, urines ou selles retrouvée dans l’habitation, et/ou vocalisations. Elles peuvent être observées à certaines occasions (seulement quand les maîtres ressortent le soir pour aller au cinéma par exemple) ou systématiquement lors de chaque sortie si elle dure plus de 3 heures par exemple ou quelle que soit la durée de l’absence (un chien peut détruire même pour 5 minutes de solitude).

Vocalisations

Plusieurs types de vocalisations sont constatés (à faire préciser pendant l’entretien avec les propriétaires). Il peut s’agir de :

  • gémissements intermittents,
  • pleurs et hurlements,
  • aboiements intermittents.

 

Comme le chien vocalise en l’absence de ses maîtres, ce sont généralement les voisins qui entendent les aboiements ou les pleurs. Ils rapportent aux propriétaires ce qu’ils entendent mais généralement sans beaucoup de précision (type de vocalisation, durée, heure de début… ?). Il est très utile d’avoir un enregistrement de ce qui se passe quand les propriétaires sont au travail.

 

Destructions

Quatre types de destructions sont observés :

  • des grattages et des mordillements autour de l’issue principale et parfois des fenêtres d’où le chien voit partir ses maîtres;
  • des mordillements de meubles, le chien ronge les pieds de table, les murs;
  • des déménagements d’objets, des placards ouverts, des tables renversées,
  • des objets mâchonnés voire ingérés.

Murs rongés en l’absence des propriétaires par un chien anxieux.

 

Murs grattés en l’absence des propriétaires par un chien anxieux.

La nature exacte des dégâts n’est pas indispensable pour la prise en charge thérapeutique, mais elle donne une idée de la motivation principale du chien lors des destructions et dans quel état émotionnel il est. Cela permet aussi aux maîtres de « vider leur sac » ce qui les soulage et au praticien de comprendre le désarroi et la détresse dans laquelle le chien se trouve, ainsi que ses maîtres.

Malpropreté

C’est plus généralement des urines qui sont retrouvées au retour des maîtres. Il peut s’agir de marquage urinaire (le chien mâle a levé la patte contre un meuble ou un mur) ou de l’élimination (flaques d’urine). Les flaques peuvent être retrouvées cachées derrière un meuble, toujours au même endroit ou n’importe où, le chien ayant probablement marcher en même temps qu’il urinait. Les selles peuvent être moulées ou molles (diarrhée, colite). L’endroit où les déjections sont retrouvées indique comment était le chien quand il a uriné ou déféqué : était-ce de la contrariété comme dans la sociopathie par exemple (marquage), de l’élimination comme lors de PUPD ou d’un déficit d’autocontrôle (Hs-Ha), ou de la peur (miction émotionnelle, colite, diarrhée…) lors de crises anxieuses.

 

Les différentes causes possibles

Manque d’habitude

Le chien n’a jamais été laissé seul dans l’habitation et ce pendant des années. Le jour où il reste soudain complètement seul, il peut se sentir perdu et angoissé ou tout au moins appelé en aboyant pour que ses maîtres reviennent.

Déficit d’auto-contrôles

Les chiens qui présentent un syndrome Hs-Ha ne se contrôle pas bien par définition et donc ont du mal à se retenir de faire leur besoins comme s’ils étaient encore chiot dans leur tête. Un hyperattachement secondaire évolue souvent parallèlement.

Syndrome de privation sensorielle

Le chien a si peur de sortir dans la rue, qu’il ne peut faire ses besoins dehors. Il attendra le retour pour se soulager. Comme il a compris qu’il se fera disputer si ses maîtres le voient, il fera en leur absence. Le chien étant anxieux, un hyperattachement secondaire (cf. infra) évolue souvent parallèlement ce qui aggrave le problème.

Sociopathie

La sociopathie est un trouble de la hiérarchie où le chien « a l’impression » qu’il est le dominant du groupe, qu’il est donc en droit de décider et de rappeler à l’ordre les membres du groupe qui ne lui obéissent pas. Quand ses maîtres quittent l’habitation sans lui, il est en colère et peut l’exprimer en aboyant (aboiements et grognement), en grattant et en mordant les montants de la porte (agression redirigée) ou en effectuant du marquage urinaire (parfois du marquage fécal).

Anxiété de séparation (rare)

L’anxiété de séparation est la persistance de l’attachement primaire envers une personne. Il s’agit d’un chien qui a été trop « materné » par son ou sa propriétaire, ce dernier n’ayant pas effectué le détachement qu’il convient de faire . C’est souvent le cas de chiens de petite race qui sont emmenés systématiquement partout où va leur maître, ils sont portés très souvent dans les bras et dorment dans le lit. Le chien n’acquiert pas de maturité sociale puisqu’il ne peut prendre aucune autonomie. Il reste infantile (pas de marquage urinaire, pas de chaleurs chez la chienne, aucune agression hiérarchique) et n’explore qu’autour de la personne d’attachement qui représente sa mère de substitution. Ce trouble qui semblait très fréquemment observé il y a quinze ans est devenu beaucoup plus rare probablement en raison des mesures de prévention aujourd’hui bien connues et largement délivrées par les professionnels de l’animal de compagnie.

 

Un attachement fort voire un hyperattachement peut exister entre deux chiens.

Hyperattachement secondaire

L’hyperattachement secondaire est probablement la cause la plus fréquente de nuisances quand le chien reste seul. Le processus d’hyperattachement est secondaire à une évolution anxieuse ou à une dépression. Une fois l’anxiété ou la dépression soignée, l’hyperattachement secondaire disparaît.

Anxiété

En résumé, l’anxiété chez le chien peut avoir trois origines possibles :

  • un trouble de la communication avec les maîtres ou avec un congénère (sociopathie inter ou intraspécifuque);
  • un trouble du développement (Hs-Ha, THS, SP), rendant le chien hypersensible ou instable émotionnellement;
  • une dysendocrinie, en particulier l’hypothyroïdie.

Dépression chronique

L’hyperattachement peut être un des signes d’une dépression chronique, notamment lors de dépression d’involution chez le chien âgé. Le chien qui était auparavant suffisamment autonome pour rester seul à la maison, se met à suivre son maître partout même aux WC et panique quand il est séparé de lui.

Comment établir le diagnostic ?

Le diagnostic est établi grâce aux informations concernant les nuisances, grâce aux autres comportements du chien que les propriétaires rapportent au cours de la consultation et qu’il est possible de voir directement en consultation.

Les questions à poser

Il est indispensable de préciser le problème (cf. supra). Si ce que rapportent les propriétaires est trop flou, il va être très difficile de suivre l’évolution du chien ensuite, en particulier pour savoir si les mesures thérapeutiques utilisées sont efficaces. Un enregistrement des vocalisations renseignera sur leur type, leur durée et leur fréquence, ainsi que la fréquence des souillures et leur nature et celle des dégradations. Quand les problèmes ont-ils commencé ? Quels moyens ont-ils été mis en œuvre pour essayer de résoudre le problème ?

Enfin, il est essentiel de poser des questions concernant les autres comportements du chien, notamment son comportement alimentaire, sa boisson, tout ce qui a à voir avec son sommeil (les endroits de couchage…), les comportements agressifs s’ils existent et les relations que le chien entretient avec ses maîtres (est-il hyperattaché ou plutôt dominant ?). Ses conditions d’acquisition et de développement sont importantes à considérer (troubles du développement).

Les signes observables en consultation

Il est préférable d’observer le chien sans interagir avec lui tout de suite de façon à pouvoir estimer dans quel état émotionnel il est. Un chien Hs-ha montre généralement son hyperactivité tout de suite, il fait la fête, mordille, met les pattes sur les meubles… Un chien anxieux montre des signes d’anxiété divers : tremblements, hypersalivation, gémissements, halètement, inhibition. S’il est hyperattaché, il reste près de la personne d’attachement et la suit pas à pas si elle se déplace. Un chien souffrant de sociopathie initie les contacts avec ses propriétaires, mais ne vient pas quand ils l’appelle.

L’examen clinique

L’examen de la peau permet de mettre en évidence des lésions de léchage d’origine anxieuse. Lors d’hypothyroïdie, la peau est généralement épaisse (garrot, joue), une alopécie plus ou moins diffuse, notamment sur les flancs est constatée, la truffe est souvent sèche et parfois croûteuse, le poil sec, cassant ou cotonneux.

Le poids est à mettre en relation avec le comportement alimentaire : un chien boulimique et maigre (sans troubles digestifs) peut être hyperactif ; un chien en surcroît pondéral avec un appétit faible (ration inférieure à la normale) peut être hypothyroïdien.

Les examens complémentaires

Une exploration hormonale (hypothyroïdie lors d’évolution anxieuse ou de dépresison, Cushing lors de dépression) est pertinente si des signes cliniques évocateurs sont mis en évidence.

Un examen tomodensitométrique peut être proposé si un processus tumoral cérébral est suspecté (boxer âgé présentant les signes d’une dépression chronique).

 

En première intention

Les mesures suivantes sont destinées à traiter les chiens qui présentent des troubles modérés, c’est-à-dire quand les propriétaires n’envisagent pas l’abandon ou l’euthanasie de leur chien si les troubles ne s’améliorent pas très rapidement.

Elles concernent donc les situations ou les nuisances ne sont pas systématiques et si leur intensité est modérée. Cette appréciation est subjective car la tolérance des propriétaires est très variable en fonction des cas. Il est important de demander clairement aux propriétaires en combien de temps ils souhaitent que la situation s’améliore (en jours ou en semaines ?) et sinon ce qu’ils décideraient.

Le DAP®

L’apaisine canine est intéressante en première intention lors d’anxiété. Elle a montré son efficacité surtout lors de destructions (moins lors de vocalisations ou de souillures), les phéromones diffusées par l’appareil se déposant sur les objets. Le chien anxieux recherchent activement (oralement) des traces (olfactives) de ses maîtres, la perception de l’apaisine lors de son exploration hypertrophiée l’apaise, l’exploration orale diminue alors.

Le DAP® sera peu effcicace lors de déficit des autocontrôles (Hs-Ha, THS).

Les compléments alimentaires

L’Anxitane® et le Zylkène® ont tous deux des propriétés apaisantes dans avoir d’effets secondaires de type sédation. Ces nutraceutiques peuvent être associés aux phéromones.

Le Varikennel®

Pour éviter que les propriétaires réprimandent leur chien au retour et pour limiter pratiquement les dégâts, une cage de transport (Varikennel) peut être une solution d’appoint en attendant que le comportement du chien s’améliore. Il convient de définir avec les propriétaires les éléments d’amélioration autres que les nuisances en l’absence, afin de déterminer le moment où le chien pourra être laissé libre.

Le collier antiaboiement

Il peut dans un premier temps permettre d’apaiser le voisinage, mais il ne permet pas de régler le problème à sa source. Chez un chien anxieux, les colliers électriques sont fortement contre-indiqués car il aggrave l’anxiété du chien, donc le problème.

 

En deuxième intention : les psychotropes

Les médicaments psychotropes sont indiqués quand les moyens de première intention n’ont par permis d’améliorer suffisamment le comportement du chien ou quand les propriétaires souhaitent constater des progrès rapidement (dans les jours qui suivent la consultation).

 

Quand les dégradations sont importantes ou les souillures très fréquentes, les Inhibiteurs de la recapture de la sérotonine (ISRS) comme la fluoxétine ou la fluvoxamine sont particulièrement indiqués. Leurs effets anxiolytiques et anti-impulsifs apparaissent dès les premiers jours de traitement. Il est même recommandé d’augmenter progressivement la dose afin que les propriétaires ne soient pas inquiets de voir leur chien apathique (il ne fait presque plus la fête au retour par exemple). En effet, les effets « calmants » du début de traitement (pendant les 15 premiers jours) sont liés aux effets secondaires de ces molécules et sont fonction de la dose.

Des association (ISRS + bétabloquants ou + neurolpetiques) sont possibles et dans ce cas doivent permettre une amélioration rapide.

 

Si le traitement médicamenteux ne résoud pas le problème dans les 2 à 4 semaines, il convient de rechercher une cause organique qui serait à l’origine du trouble, comme par exemple une hypothyroïdie chez un jeune adulte ou une tumeur cérébrale chez un chien âgé (dépression d’involution).

Molécule (Spécialité) Dose Propriétés Remarques
Clomipramine

(Clomicalm)

2 à 4 mg/kg/j

en 2p

Anxiolytique (inhibiteur de la recapture de la sérotonine ou IRS) – Effets visibles dans les 3 semaines

– Effets régulateurs après 3 semaines

– peu efficace lors d’Hs-Ha

Clonidine

(Catapressan*)

1/2 cp/10kg/j

1 à 3 fois par j

Antihypertenseur anxiolytique (alpha2 agoniste) – Peut être associé à un ISRS

– légèrement sédatif

– utilisé ponctuellement ou au long court

Fluoxétine

(Prozac*)

2 à 4 mg/kg/j

en 1 p

Antidépresseur anxiolytique et anti-impulsif (inhibiteur sélectif de la recapture de la sérotonine ou ISRS) – Effets secondaires dose dépendants visibles dès les premiers jours : légère sédation, anorexie, parfois tremblements

– Effets régulateurs après 3 semaines

Fluvoxamine

(Floxyfral*)

5 à 10 mg/kg/j

en 2 p

(atteindre progressivement la dose sur 10 à 15 jours)

Antidépresseur anxiolytique et anti-impulsif (inhibiteur sélectif de la recapture de la sérotonine ou ISRS) – Effets secondaires dose dépendants visibles dès les premiers jours : sédation, anorexie.

– Effets régulateurs après 3 semaines

– moins coûteux que la fluoxétine

Pipampérone

(Dipipéron)

1 à 3 mg/kg/j

en 2p

Neuroleptique – Peut être associé à un ISRS

– sédatif

– utilisé ponctuellement ou au long court

Propranolol

(Avlocadyl®)

5 à 10 mg/kg/j

en 2p

Antihypertenseur anxiolytique (béta bloquant) – Peut être associé à un ISRS

– légèrement sédatif

– utilisé ponctuellement ou au long court

Trioxazine

(Relazine®)

20 mg/kg/j

en 1 à 3 p

Antihypertenseur anxiolytique (béta bloquant) – Peut être associé à un ISRS ou à un IRS

– plutôt désinhibiteur

– conseillé lors de vocalises

 

La thérapie comportementale

Comme pour toute affection comportementale, il est recommandé de prescrire une thérapie comportementale. En fonction du trouble et de l’origine des nuisances, le praticien adapte les éléments de la thérapie comportementale.

La thérapie de détachement

Lors que le chien souffre d’anxiété de séparation, le maître doit effectuer une thérapie de détachement. Elle consiste à repousser le chien quand celui-ci vient chercher le contact, à l’isoler plus souvent dans une pièce par exemple. Elle doit être appliquée progressivement de manière ne pas induire trop d’anxiété chez l’animal qui à ce moment-là rechercherait encore plus la présence de la personne qui le rassure (cercle vicieux). L’administration de psychotropes sérotoninergiques comme le Clomicalm®, le Prozac®* ou le Floxyfral®* facilite le détachement (une augmentation de la sérotonine favorise le détachement).

La thérapie de régression sociale dirigée

Lors de sociopathie, les trois mesures qui constituent la thérapie de régression sociale dirigée doivent être prescrites :

  • Le repas du chien doit être distribué après le repas de ses maîtres, dans un endroit plutôt isolé et le chien doit manger seul. Il ne doit pas recevoir de nourriture quand il en demande, pendant le repas de ses maîtres par exemple.
  • L’endroit de couchage du chien est placé dans un endroit peu stratégique c’est-à-dire loin du passage et pas en hauteur.
  • Les maîtres doivent être à l’initiative des contacts (câlins, jeux). Quand le chien les sollicite, ils ne doivent pas «lui obéir».

Il convient de rappeler aux maîtres qu’être dominant ne signifie pas être tyrannique. Ils doivent juste reprendre le contrôle de la vie à la maison avec leur compagnon, lui faire respecter les règles de vie. Chez les loups, le couple dominant a un rôle apaisant pour les individus de la meute, au point que si les dominants meurent, tués par un chasseur par exemple, la meute perdue s’éparpille, donc disparaît.

Les rituels de départ et de retour

Quelle que soit l’origine du trouble, le prescripteur doit inviter les propriétaires à ne pas multiplier les rituels relatifs à leur départ et à leur retour :

  • – Partir simplement, une phrase simple peut être dite sur un ton apaisant, du genre «garde bien la maison, à tout à l’heure», mais il faut éviter les discours sur un ton larmoyant.
  • – Au retour, il ne faut pas punir le chien lorsque l’on constate les dégâts. Il faut éviter de participer à sa fête surtout si elle est exacerbée. Il faut plutôt l’ignorer, poser ses affaires, boire un verre d’eau, puis l’appeler pour des câlins dès qu’il se calme. L’objectif est de ne pas exacerber l’excitation du retour, mais de motiver le chien à se contrôler.

Améliorer la communication avec le chien

Certains propriétaires communiquent mal avec leur animal, ce qui constitue une source d’anxiété. Ils récompensent ou punissent le chien au mauvais moment ou d’une manière peu adaptée. Il faut leur rappeler que la récompense doit être effectuée à la fin du comportement désiré, systématiquement au début puis de façon aléatoire. La punition n’est efficace que si elle est infligée au début de l’acte non désirée. Effectuée après coup (même quelques secondes après), elle est inutile voire stressante.

Contre-conditionnement

Pour les chiens qui souffrent d’un syndrome de privation, qui ont peur de la rue au point d’avoir des difficultés à faire leurs besoins à l’extérieur, il est indispensable de prendre en charge cette phobie urbaine. La thérapie de contre-conditionnement (motiver le chien avec une friandise ou son jouet préféré quand il est dans la rue) est indiquée.

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