Hypothyroïdie et troubles du comportement du chien (1) : quand y penser ?

Article paru dans la revue « Comportement Animal » Février 2018

auteure Valérie Dramard

L’hypothyroïdie est la maladie hormonale la plus fréquente chez le chien. Elle est si fréquente que certains auteurs nord américains parlent même d’épidémie[1]. L’image classique du chien hypothyroïdien est celle d’un chien de plus de 4-5 ans, en surpoids, au comportement dépressif, ralenti et apathique et qui perd beaucoup ses poils. Pourtant, chez le chien comme chez l’homme, l’hypothyroïdie peut se manifester de manière totalement différente tant sur le plan physique que sur le plan comportemental.
Cet article propose de faire le point sur ces différents « profils ». Nous préciserons les troubles du comportement qui doivent faire suspecter une hypothyroïdie, puis les moyens diagnostiques. Un deuxième article sera consacré  aux traitements et au suivi d’une hypothyroïdie.

L’hypothyroïdie : plusieurs profils cliniques  !

Comme chez l’homme, le surcroit pondéral ne toucherait qu’environ 40% des chiens souffrant d’hypothyroïdie. Un chien de poids normal ou même maigre (cf. infra) peut être hypothyroïdien[2].

En effet, les HT activent le métabolisme cellulaire de tous les tissus, donc selon les individus, l’hypothyroïdie évoluera de façon différente selon les tissus touchés en premier par le manque d’HT. Les symptômes comportementaux sont souvent les plus précoces [3].

• Le profil « gros et dépressif » : c’est l’image classique du chien qui ne maigrit pas malgré un régime drastique, qui est essoufflé et très fatigable.

• Le profil « hyperactif et hypersensible » : ce profil s’explique par l’action des HT sur la neurotransmission de la sérotonine et de la noradrénaline. Le chien montre un déficit des autocontrôles et une hypervigilance, souvent plus marquée en fin de journée.

• Le « maigre » : le chien a du mal à prendre du poids malgré un appétit normal ou augmenté, il montre une amyotrophie qui explique des postures étranges (le chien se couche bizarrement, tout tordu) (cf. photo). Des signes de malassimilation et une PUPD modérée sont souvent associés.

• Le boulimique et l’anorexique : Le comportement alimentaire est souvent modifié : certains montrent une polyphagie, sont attirés par toute nourriture et peuvent en voler ; d’autres montrent au contraire une hyporexie, voire une anorexie de plusieurs jours (si on ne leur propose que des croquettes).

• Le frileux et l’intolérant à la chaleur : certains chiens montrent une intolérance au froid (refusent de sortir s’il fait froid, se couchent contre les radiateurs ou sous les couettes) et d’autres sont intolérants à la chaleur (fatigabilité très élevée, halètements importants..). Ce qui est expliqué par le fait que les HT participent à la thermorégulation et à la thermogénèse.

• Le « douillet » une allodynie (hypersensibilité à la douleur) est un des symptômes de l’hypothyroïdie tant chez l’homme que chez le chien. Cette hypersensibilité induit évidemment de nombreux troubles du comportement (cf. infra).

 

Les comportements pouvant évoquer une hypothyroïdie

L’hypothyroïdie peut induire des troubles du comportement très variés :

une dépression (apathie, ralentissement), notamment la dépression d’involution chez le chien âgé [4] qui se caractérise notamment par des crises d’anxiété le soir au coucher ou la nuit (anxiété hypnagogique) donc des troubles importants du sommeil (du chien et de ses maîtres),

l’apparition d’une hyperactivité et une hypersensibilité,

l’apparition de phobies,

une phobie sociale (chiens et ou humains) avec intolérance au contact

des troubles anxieux d’apparition plus ou moins précoce avec possibilité d’hyperattachement, d’agression par irritation et par peur.

des troubles de l’humeur (dysthymie), le chien changeant d’humeur selon les jours, donc plus anxieux, plus triste et plus agressif certains jours,

Et aussi des TOC, des hallucinations, de l’hypersexualisme (avec chevauchement, érection voire éjaculation chez des mâles ou femelles même stérilisés).

Malgré la variété des troubles du comportement qui peuvent être induits par l’hypothyroïdie, il est toutefois possible d’avoir un plus forte suspicion dans les cas suivants :

  1.  Lors d’absence de réponse aux traitements psychotropes classiques
    Si le chien a déjà reçu plusieurs traitements psychotropes pour soigner ses troubles et que ceux-ci n’ont montré qu’une efficacité faible, nulle ou transitoire, l’hypothèse d’une hypothyroïdie devrait être avancée. C’est le cas notamment des chiens souffrant d’hyperactivité avec une dérégulation des autocontrôles qui ne répondent pas à la fluoxétine ou la fluvoxamine (ISRS[5]) malgré des doses élevées, d’autant plus si rien n’explique dans les commémoratifs que le chien a pu souffrir d’un trouble du maternage avant ses 2 mois[6].
  2. Lors d’apparition de troubles du comportement sans raison logique
    Alors que le chien se comportait normalement la première année de sa vie (calme, propre, pas peureux, etc…), son comportement se dégrade avec apparition de malpropreté, de peurs, d’hyperactivité, d’agressivité, de troubles de la relation avec les congénères ou avec les gens,… sans qu’aucune raison puisse expliquer ces changements (pas de traumatisme, pas de changement dans l’environnement, …). Comme si le chien changeait sans raison. Il en va
  3. Lors de troubles physiques chroniques
    En plus des raisons évoqués plus haut, le chien présente des signes physiques évoquant une hypothyroïdie : des signes cutanés (alopécie aux zones de frottement, sur les paupières, le chanfrein, sur la région thoracique, sur les flancs, une mue permanente ou une hypertrichose, une hyperpigmentation cutanée, des dermatites fréquentes …), des signes digestifs (hypersensibilité digestive, gastrite avec pica), un surcroit pondéral ou une maigreur marquée, une hypersensibilité au contact, une intolérance au froid ou au chaud…[7].

Les moyens diagnostiques à disposition

• Diagnostic différentiel

Toute maladie qui affecte le système nerveux central (tumeur) peut induire des changements de comportement chez un chien auparavant sain. De la même façon, une maladie générale ou générant de la douleur peut induire une fatigabilité élevée (donc une irritabilité élevée) et/ou des réactions de crainte ou d’irritation lors de contact (soins, contrainte).

• Diagnostic biologique

Le diagnostic biologique (dosage de T4 et de TSH) est peu : parfois la T4 est élevée en présence d’AC anti T4 (faux négatifs), elle peut être abaissée lors d’infection chronique ou d’administration de certains médicaments (faux positifs) et il y a environ 40% de faux négatifs pour la TSH. Généralement, une T4t<15 nmol/l et une TSH >0,5 ng/ml confirment le diagnostic, mais il faut toujours confronter les valeurs avec la clinique. Comme dit l’adage : « On doit soigner l’animal, pas les résultats de sa prise de sang.»

Une cholestérolémie élevée (>2,6g/l) corrobore l’hypothèse.

• Diagnostic thérapeutique

Chez le chien, il est possible d’effectuer un diagnostic thérapeutique sans risque pour le chien (l’élimination de la T4 chez le chien est inférieure à 12h, donc il n’y a pas de risque ni de toxicité aiguë ni de dérégulation). Le principe consiste à supplémenter en T4 (environ 20-22 mcg/kg sid ou environ 10-15 mcg/kg bid) et de suivre l’évolution sur deux semaines des signes physiques et comportementaux notés à J0. Les signes comportementaux sont en général plus vite atténués que les signes physiques 2. La grille Hypolit®[8] est un outils qui permet de calculer un score à J0 et à J15 et J30, donc d’objectiver l’amélioration clinique et comportementale. Si le chien montre des signes de nervosité anormale lors de la supplémentation, le diagnostic est négatif, si au contraire, son comportement se régule (plus calme, plus enjoué, moins irritable, moins anxieux,…) le diagnostic est positif.

Encadré 1. Hormones thyroïdiennes (HT) et neurotransmission

• Les HT activent le métabolisme cellulaire de toutes les cellules de l’organisme dans tous les tissus (peau, système nerveux, muscle, moelle osseuse, foie, rein, autres glandes…).

• La T4 est l’hormone de réserve sanguine (elle aurait toutefois, une action sur le REG), elle est transformée en T3 qui est l’hormone active, mais aussi en rT3, la forme inactive de la T3.

• La T3 active la transcription génétique.

• L’iode et le sélénium sont les deux éléments indispensables à la synthèse des HT : l’iode pour la fabrication de T4 et le sélénium pour la transformation de T4 en T3.

• Les HT sont donc nécessaires à la neurotransmission, à la synthèse et à la sécrétion des neurotransmetteurs tels que la sérotonine, la noradrénaline et la dopamine. Un faible taux de HT induit une diminution de leur neurotransmission, ce qui explique l’apparition de troubles du comportement.

• Pour agir dans la cellule, les HT doivent pénétrer dans le milieu intracellulaire et dans le noyau, via des récepteurs (membranaires et nucléaires).

 


[1]« The Canine Thyroid Epidemic » Jean Dodds 2011

[2]  Pour en savoir plus « Troubles du comportement du chien : et si c’était la thyroïde ? ». V Dramard. Ed Point Vétérinaire. 2010.

[3] Thèse vétérinaire de Ségolène Courtin-Donas « Troubles du comportement du chien améliorés par la lévothyroxine » Lyon. 2009.

[4] « Pathologie du comportement du chien ». P. Pageat. 2è ed. Point vétérinaire. 1998.

[5] ISRS pour Inhibiteur spécifique de la recapture de la sérotonine.

[6]  Pour en savoir plus « Vade-mecum de pathologie du comportement du chien et du chat » Ed Med’com. 3ème ed 2016.

[7] La grille Hypolit® permet d’établir un score clinique à J0 et de suivre l’évolution clinique du chien.

[8] La grille Hypolit® comprend 30 items. Le calcul est effectué à J0 en notant 1 si le signe existe et 0 s’il n’existe pas, et à J15 en notant 1 si le signe persiste ou est apparu et 0 s’il est très diminué ou n’existe pas. Un score ≥ 10 confirme la suspicion d’hypothyroïdie. Toutefois, plus le chien est jeune, plus le score sera bas et inversement. La grille est téléchargeable sur le site animalpsy.com (dans accès vétérinaire, après s’être connecté).

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