Prendre en charge le chat agressif

La prise en charge de chats très agressifs, souffrant de troubles du comportement à l’origine de l’agression violente de leur propriétaire, s’effectue en trois temps. Le vétérinaire doit d’abord traiter l’urgence pour annuler les risques d’agression et différer une éventuelle décision d’euthanasie. Il doit ensuite établir un diagnostic et commencer à traiter le chat. Une réévaluation comportementale est nécessaire 1 à 2 mois plus tard.

Les appels téléphoniques du type « Aidez-moi, docteur. Je suis enfermée dans la chambre, mon chat est derrière la porte, j’ai peur d’en sortir parce qu’il est devenu fou» sont bouleversants pour le praticien qui entend en direct les feulements furieux du chat dans le combiné. Devant la violence de l’attaque et la gravité des blessures (visages, mains), le praticien, par prudence, conseille souvent de se séparer du chat (le placer à la campagne ou l’euthanasier). Mais le chat est-il devenu brutalement fou ou s’agit-il de la dégradation d’un trouble du comportement qui évoluait à bas bruit depuis plusieurs mois ? Même si cela semble dans l’instant évident, la décision de se séparer du chat (abandon ou euthanasie) ne doit pas être prise «à chaud» : le propriétaire peut regretter rapidement cette décision et dans le cas d’une euthanasie, c’est irréversible. Par ailleurs, le trouble du comportement dont souffre le chat peut souvent être soigné et les risques d’agression diminués. Cet article propose pour ces chats devenus très agressifs un protocole de prise en charge en trois temps.

MOTIF

Il s’agit toujours d’une urgence. Le chat vient d’attaquer une personne familière, souvent le propriétaire. L’agression a été très violente et a duré plusieurs minutes. Le propriétaire rapporte que son chat est devenu un véritable fauve : il était dans un état de fureur tel qu’il semblait ne pas reconnaître son propriétaire. Ce dernier rapporte que son chat s’est mis à le guetter puis s’est jeté sur ses jambes, sur ses cuisses, au niveau de son ventre, dans le dos, sur ses bras et parfois au niveau de la tête. Il a griffé violemment et surtout mordu à plusieurs reprises. Généralement, il a hurlé avant ou en même temps et parfois uriné ou déféqué au cours de l’attaque. Le propriétaire hurlant à son tour, le chat a pu arrêter un temps son attaque mais sans cesser de se montrer menaçant. Il a continué à fixer son maître et dès que celui-ci faisait un mouvement, il se précipitait à nouveau sur lui, le poursuivant toujours en hurlant. Un véritable film d’horreur.

Généralement, le propriétaire terrorisé réussit à s’enfermer dans une pièce, à sortir de chez lui dans le pire des cas – le chat restant dans l’habitation ! – ou au mieux à enfermer son chat dans une pièce. Il a soigné ses blessures en réalisant qu’il venait d’être attaqué par son chat bien aimé qui s’est transformé l’espace d’un instant en animal sauvage.

COMMÉMORATIFS ET ANAMNÈSE

Souvent, l’attaque a lieu dans l’habitation et la personne vit seule avec son ou ses chats. Le chat est adulte et même si auparavant le chat avait pu montrer de l’agressivité, les agressions étaient moins violentes et relativement prévisibles. Par exemple, il pouvait s’agir d’agressions par irritation pendant des câlins (syndrome du chat caressé-mordeur : le chat mord pour arrêter le contact alors que la personne le caresse). Ces agressions étaient perçues comme anodines car prévisibles, le chat ayant « mauvais caractère ».

CAUSES ET DIAGNOSTIC

L’entretien avec le propriétaire permet de mettre en évidence que le chat a toujours été anxieux, avec les symptômes spécifiques de l’anxiété comme une hypervigilance, des réactions de peur fréquentes, des épisodes de malpropreté, de dermatite de léchage et/ou d’agressivité. À l’origine de l’anxiété, il peut y avoir des troubles du développement (syndrome Hs-Ha, trouble de l’homéostasie sensorielle, syndrome de privation sensorielle) qui expliquent l’hypersensibilité du chat, sa grande réactivité et aussi sa grande vulnérabilité aux changements (déménagement, arrivée ou départ d’un membre de la famille…). Une anxiété en milieu clos, des déménagements fréquents, des problèmes de cohabitation chroniques avec un autre animal (chat, chien…), une mauvaise distribution de l’alimentation ou des réprimandes trop fréquentes sont aussi des causes d’anxiété.

Le diagnostic fonctionnel généralement établi est soit une anxiété intermittente, soit une dysthymie. Les attaques sont dans les deux cas essentiellement des agressions par peur (morsure incontrôlée avec possibles émissions d’urine et de selles), les agressions par prédation (le chat mord les mollets d’une personne qui marche) et les agressions territoriales se manifestant surtout sur un mode chronique.

PRISE EN CHARGE

Dans une situation de crise, le praticien doit répondre dans l’urgence mais différer une éventuelle décision d’euthanasie. Le protocole proposé ici se compose de trois temps. Le premier temps est une prise en charge à court terme (sur 48 heures environ) : l’objectif est d’annuler les risques d’agression, de permettre à la victime de se remettre du traumatisme et au chat de recouvrer son comportement habituel. Dans un deuxième temps, une évaluation comportementale précise a pour but d’établir un diagnostic et de commencer à soigner le chat si c’est possible. Enfin, une réévaluation comportementale complète 1 à 2 mois plus tard doit permettre d’évaluer plus précisément le pronostic sans et avec traitement, les éventuels risques de récidive et les mesures de prévention. .

• Traiter l’urgence (48 heures)

La décision d’euthanasie ne doit pas être prise à chaud, mais doit être réfléchie. En effet, même si cette demande est clairement formulée par le propriétaire le jour de l’attaque, il est probable qu’il regrettera sa décision après quelques jours et reprochera à son vétérinaire de ne pas l’avoir éclairé sur les possibilités de traitement du trouble comportemental. La période de quinze jours de surveillance animal mordeur est un bon moyen d’aider à différer cette décision.

Le premier conseil que le praticien ou son ASV peut donner au téléphone est d’isoler le chat dans une pièce de l’habitation où le propriétaire n’a pas besoin d’aller fréquemment, d’y déposer des croquettes, de l’eau et une litière. L’objectif est que le propriétaire ne ressente plus la peur liée à la vision de son chat et que le chat s’apaise et recouvre un état émotionnel plus proche de la quiétude. Généralement, il suffit de quelques heures pour que le chat retrouve son calme. Si le propriétaire n’arrive pas à s’apaiser malgré ces mesures d’isolement, le praticien hospitalise l’animal pendant 24 à 48 heures (avec sa nourriture habituelle et une litière propre). Le changement de territoire et la restriction d’espace permettent à l’animal de s’apaiser rapidement. Un diffuseur de Feliway ND peut être installé dans la pièce où est isolé le chat ou vaporisé dans la cage au sein de la clinique. La personne victime de l’agression peut alors se reposer et considérer la situation avec plus de recul.

• Prise en charge comportementale (2 à 4 semaines)

– Après environ 48 heures

Quand on constate que le chat n’est plus dans un état de peur ou de fureur et que le propriétaire ressent moins d’émotion à parler de l’attaque, une prise en charge comportementale est envisageable. Un examen clinique et une véritable consultation de comportement sont pratiqués. Une fois écartée l’hypothèse d’une maladie organique pouvant être à l’origine de l’agression, une évaluation comportementale complète de l’animal (observation directe pendant plus d’une heure associée à un entretien minutieux avec le propriétaire) permet de confirmer le type d’agression et d’établir le diagnostic du trouble comportemental à l’origine de l’attaque.

Comme on l’a vu, il s’agit essentiellement d’agression par peur et même s’il s’agit d’agression par prédation ou territoriale, la violence de l’agression justifie la prescription d’un psychotrope. Le psychotrope doit agir rapidement, avoir des propriétés anxiolytiques (diminution de l’anxiété) et si possible une action anti-impulsive (diminution du passage à l’acte de morsure).Pour toutes ces raisons, la fluoxétine (Prozac ND ou Fluoxétine ND) est la molécule de choix : effets visibles dès les premiers jours du traitement surtout en raison de ses effets secondaires de type sédation et apathie ou indifférence émotionnelle, ces signes s’atténuant progressivement en deux semaines. Le propriétaire se détend plus rapidement quand il voit son chat plus calme et plus indifférent. Par ailleurs, l’action longue de la fluoxétine, ou du moins de son métabolite actif la norfluoxétine (chez l’Homme, sa demi-vie est de 4 à 15 jours), permet d’avoir une action continue même si les prises sont assez espacées. En effet, il est recommandé d’administrer la fluoxétine une fois par jour, mais une prise tous les deux jours est envisageable dans certains cas. La dose recommandée est de 0,5 à 2 mg/kg/j en commençant avec une dose faible et en augmentant si nécessaire après une semaine en fonction des modifications comportementales. Si après une semaine, le comportement du chat reste inchangé, notamment si son appétit n’est pas diminué et si le propriétaire ne constate pas d’effet « calmant », la dose est doublée. La fluoxétine est prescrite dans les cas d’anxiété intermittente ou dans les cas de dysthymie (alternance de phases productives et de phases normales ou en hypo).

La clomipramine (Clomicalm ND) à la dose de 0,25 à 1 mg/kg/j en 1 prise peut aussi être prescrite lors d’anxiété intermittente. Toutefois, si le chat souffre d’un trouble de l’homéostasie sensorielle caractérisé par un déficit des autocontrôles, une hyperactivité et une hypersensibilité, les effets risquent d’être insuffisants. La petite taille des comprimés et leur bonne appétence constituent un avantage par rapport à la fluoxétine dont le goût est rarement apprécié par les chats.

La sélégiline (Selgian ND) peut aussi être prescrite puisqu’elle possède aussi une action anxiolytique. Toutefois, il faut parfois attendre 2 ou 3 semaines pour constater des effets, ce qui est long pour le propriétaire. De plus, un vide thérapeutique de 2 semaines est recommandé entre la sélégiline et un psychotrope sérotoninergique comme la fluoxétine ou la clomipramine, ce qui augmente d’autant l’attente du propriétaire et son inquiétude face à son chat.

Un diffuseur de Feliway ND est installé dans la pièce principale de l’habitation au moins pendant 1 mois.

La consultation de comportement permet aussi d’évaluer le contexte de vie du chat et de proposer des changements le cas échéant. Un des premiers points à aborder est la distribution de nourriture, surtout pour les chats vivant en appartement. Il est aujourd’hui admis qu’un chat mange 15 à 20 fois par jour et que pour son bien-être, il est recommandé de laisser des croquettes à disposition tout le temps, et toujours les mêmes pour éviter une trop grande absorption de nourriture par néophilie (« tout ce qui est nouveau est meilleur »). Lorsque pour une raison ou pour une autre le chat est inquiet ou angoissé, il a ainsi la possibilité de s’apaiser en grignotant : un chat anxieux qui ne peut pas grignoter devient de plus en plus anxieux, donc de plus en plus agressif. Si le chat est boulimique, ce qui est fréquent dans l’Hs-Ha, la fluoxétine par son action anorexigène est particulièrement indiquée. Enfin, d’une manière générale, il faut vérifier que les comportements primaires du chat sont respectés – manger, boire, dormir et jouer (le chat étant un prédateur à l’origine) – et le cas échéant, proposer des modifications du territoire et des habitudes.

– Après une semaine

Une évaluation comportementale lors d’une consultation ou lors d’un entretien téléphonique après au maximum une semaine de traitement est indispensable pour plusieurs raisons : tout d’abord pour prendre contact avec le propriétaire et apprécier son ressenti vis-à-vis de son chat, notamment s’il a encore peur de lui rien qu’en le regardant ; ensuite, pour évaluer l’effet du psychotrope prescrit. Le pronostic est d’autant plus favorable que le maître a plus confiance en son chat et que le chat montre des signes visibles de quiétude. Si le chat ne montre pas de signes d’amélioration, la dose du psychotrope ou sa nature doit être réévaluée. Si le propriétaire reste trop angoissé malgré les progrès de son chat, la décision de s’en séparer est discutée.

• Traiter le trouble (6 mois)

Après 2 à 4 semaines de traitement, le prescripteur peut apprécier l’évolution comportementale de l’animal et réajuster le traitement médicamenteux et la thérapie comportementale. Une approche à plus long terme du traitement du chat est envisagé : le propriétaire a décidé de garder son chat, parallèlement il a appris, guidé par le praticien, à connaître les contextes à haut risque d’agression lors d’anxiété intermittente ou les prémisses d’une phase agressive lors de dysthymie (par exemple, le chat ne mange plus ou ne boit plus, ne joue plus, se met à avoir peur…). Les agressions, si elles peuvent encore survenir, ne seront plus si violentes et surtout elles seront prévisibles, ce qui permet au propriétaire de prendre des précautions adaptées (isoler le chat, par exemple). Référer à un vétérinaire comportementaliste constitue évidemment

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