Syndrome hypolit : un cas clinique

Introduction

Les hormones thyroïdiennes influencent le fonctionnement du système nerveux central (transmissions de la sérotonine et de la noradrénaline). Une hypothyroïdie s’accompagne donc souvent de troubles du comportement. Le diagnostic biologique de l’hypothyroïdie chez le chien étant peu satisfaisant, le diagnostic thérapeutique peut constituer une alternative, les symptômes comportementaux permettant un suivi précis.

Le cas de Churchill

Churchill est un Bouledogue Anglais mâle âgé de un an et demi de 28 kg. Il vit en appartement avec une jeune femme qui le promène souvent avec un autre chien bouledogue anglais qui a un comportement normal (calme et sociable).

Motif de consultation

Tout a commencé à l’âge de six mois :

– il est devenu hyperactif : très brusque et excitable, il tire beaucoup en laisse, il saute « amicalement » sur toutes les personnes qu’il rencontre, les chevauche en les griffant et peut les faire tomber.

– tous les soirs, il présente des crises d’agitation avec hyperactivité et aboiements sans contrôle possible.

– il s’est mis à détruire le jour et la nuit, en présence ou en l’absence de la propriétaire : canapé, mur, plinthes… avec ingestion possible de corps étrangers.

L’administration de clomipramine (Comicalm® un IRS[1]) pendant six mois a permis de le rendre un peu plus contrôlable, mais les destructions n’ont pas cessé.

 

Examen clinique

Churchill souffre depuis plusieurs mois de dermatites (babines, testicules, espaces interdigités) et d’otites. Il présente une conjonctivite, une mue permanente associée à un EKS. Sa truffe est sèche. Il souffre de gastrites souvent liées à l’ingestion de corps étrangers, accompagnée d’hyporexie. L’hypothèse d’une maladie d’Addison a été écartée (Na/K : 36).

Sémiologie comportementale

En consultation, le chien montre un comportement très actif : il saute, chevauche et griffe. Il se calme après cinq minutes, pour de nouveau s’exciter après quelques minutes de repos, sans avoir été sollicité.

Il est noté :

– un net déficit des autocontrôles associé à un comportement infantile : très brusque envers les humains et envers les chiens avec des chevauchements incessants alors qu’il ne lève pas la patte pour uriner ;

– une hyposomnie : la nuit il détruit et le jour il dort par intermittence, vite excité par un rien (hypervigilance).

Mme D. a fourni beaucoup d’efforts pour socialiser son chien et l’éduquer. Elle est déçue parce qu’il reste incontrôlable et peu affectueux.

Churchill a été acquis à trois mois dans un petit élevage familial. Sa mère primipare a eu quatre chiots dont elle s’est occupée jusqu’à leur adoption. Churchill rencontre très régulièrement d’autres chiens et d’autres personnes.

Hypothèses diagnostiques

Un syndrome Hs-Ha (hypersensibilité-hyperactivité) de stade 1 est d’abord envisagé. Toutefois, certains éléments ne permettent pas de confirmer ce diagnostic (conditions de développement optimales, pas de mordillement des mains, hyperactivité amplifiée après six mois, hyporexie). Par ailleurs, en consultation, l’hyperactivité apparaît par intermittence (5 minutes d’hyperactivité puis 5 minutes de décubitus).

L’existence de troubles dermatologiques chroniques (mue permanente, dermatites chroniques, sécheresse de la truffe, conjonctivite) et de troubles digestifs fréquents, de crises d’agitation en soirée et la nuit, une réponse partielle à la clomipramine, associées à une hyperactivité conduit à envisager l’hypothèse d’une hypothyroïdie.

Examens complémentaires

L’hypothyroïdie n’est pas confirmée par la sérologie (T4libre : 14 pmol/l, TSH>0,2ng/ml, cholestérol : 2,2g/l).

Traitement

Un diagnostic thérapeutique avec une supplémentation en T4 est effectué (Leventa®: 600mcg SID[2] soit 21 mcg/kg).

Devant l’urgence de la situation (destructions), il est prescrit aussi de la fluvoxamine (ISRS[3]) pour diminuer l’impulsivité du chien (1mg/kg BID[4] pendant 5 jours, puis 2 mg/kg BID pendant 5 jours, puis 2,5 mg/kg BID).

Evolution

Après une semaine, l’amélioration comportementale est remarquable. Mme D écrit dans un mail « Churchill se comporte enfin normalement et surtout il me manifeste enfin son affection sans m’arracher la peau des bras et des cuisses. Finies les destructions, les aboiements et l’excitation permanente. » On peut le caresser et le soigner, cela ne déclenche plus chez lui de crises « d’hystérie ». Il dort la nuit, ne saute plus sur les personnes, chevauche moins et paradoxalement lève la patte pour uriner. Enfin, il ne perd plus ses poils, il présente moins de rougeurs sur le corps et moins de séborrhée. Son appétit reste assez faible, même s’il ne présente plus de troubles digestifs.

Après 6 semaines, la propriétaire rapporte que le comportement de son chien se dégrade le soir à partir de 20 heures : il s’agite, dort mal la nuit et réveille sa maîtresse tôt le matin. Il est décidé d’augmenter la fréquence des prises de Leventa® qui est donc prescrit deux fois par jour (22 mcg/kg BID).

Après deux mois, le comportement de Churchill et son état clinique sont très satisfaisants le jour comme la nuit. Il joue volontiers sans excitation, il est devenu plus affectueux et câlin. Il ne chevauche, ne détruit quasiment plus (10 jours auparavant, il a ouvert un placard et renverser des verres). Il reste sociable mais sans excès. Mme D. peut enfin avoir une vie sociale (recevoir des amis et emmener Churchill chez des amis). Son appétit reste faible.

Le traitement de Leventa (23 mcg BID) et de fluvoxamine (2,5 mg/kg BID) est poursuivi.

Après 4,5 mois, l’amélioration comportementale et clinique étant confirmée, la fluvoxamine est progressivement arrêtée. Le comportement de Curchill reste stable.

Discussion

S’agit-il réellement d’un cas d’hypothyroïdie ?

Les analyses biologiques ne le confirment pas, mais la supplémentation en T4 permet d’obtenir une nette amélioration clinique (peau, système digestif) au point que les traitements destinés à soigner sa peau et son appareil digestif ont pu être arrêtés. Le diagnostic thérapeutique le confirmerait donc. Toutefois, l’amélioration clinique constatée n’est peut être due qu’aux effets pharmacologiques de la T4 (effet anabolisant) et Churchill ne souffre peut être pas véritablement d’une hypothyroïdie. Des examens complémentaires supplémentaires (dosage d’anticorps anti-T4, scintigraphie) pourraient le préciser [conf Strasbourg].

Hyperactivité améliorée par la lévothyroxine

Dans le cas présenté ici, les signes comportementaux très productifs (hyperactivité, destructions, chevauchements) sont améliorés en quelques jours par le Leventa® et la fluvoxamine. Cette constatation paraît contradictoire avec ce que l’on attend d’une action globalement anabolisante des hormones thyroïdiennes, c’est-à-dire une action plus « excitante » que « calmante ». Ce paradoxe est expliqué par le fait qu’une baisse de la transmission de sérotonine induit une diminution des autocontrôles, génère aussi de l’anxiété et de la dépression. Or, la lévothyroxine stimule, entre autre, la transmission sérotoninergique, donc peut induire une diminution de l’hyperactivité.

Dans le cas de Churchill, l’administration de fluvoxamine a vraisemblablement contribué à l’amélioration comportementale constatée dès la première semaine. Toutefois, il est rare que tous les symptômes associés à un déficit d’autocontrôles disparaissent complètement après quelques jours d’administration d’un ISRS. La lévothyroxine a dû potentialiser l’action du psychotrope.

Syndrome Hypolit®

Ce type de cas est souvent rencontré en consultation de comportement (anxiété ou hyperactivité associée à des symptômes d’hypothyroïdie non confirmée par l’examen de sang). Un diagnostic thérapeutique est aisé à mettre en œuvre (pas de dose toxique de la lévothyroxine, une durée de vie de 12h donc effets réversibles), les modifications comportementales et cliniques étant rapides (en moins de deux semaines le plus souvent) [Courtin-Donas].

Afin de couper court au débat sur le diagnostic d’hypothyroïdie, nous appelons désormais syndrome Hypolit® (pour Hypothyroidism like trouble) l’affection caractérisée par des troubles comportementaux et cliniques compatibles avec une hypothyroïdie, améliorés par une administration de lévothyroxine, avec des valeurs de T4 et de TSH normales.

Conclusion

L’hyperactivité est un des symptômes d’hypothyroïdie chez le chien [Rosenberg]. Cette dysendocrinie devrait donc faire partie des hypothèses diagnostiques lors d’hyperactivité et plus généralement lors de manifestations anxieuses.

Certes, il est inconfortable de « passer outre » le résultat des analyses de sang en prescrivant de la lévothyroxine si l’on estime que le tableau clinique est suffisamment évocateur, mais tous les auteurs s’accordent sur le fait qu’aujourd’hui le diagnostic biologique de l’hypothyroïdie du chien est peu satisfaisant [Garnier, Prélaud, Rosenberg].

Références bibliographiques

• Collectif. Hypothyroïdie canine. Journée du GEDAC du 18 septembre 2008. Procced.

• Courtin-Donas S. Troubles du comportement améliorés par la lévothyroxine chez le chien : étude expérimentale. Lyon. Janvier 2009.

• Dramard V., Benoit E. Endocrinologie canine et féline. Comportement: une approche des dysendocrinies. Point Vét., 2004, vol.35, n°spécial: les traitements en comportement du chien et du chat, 40-43.

• Dramard V. vade-mecum de pathologie du comportement du chien et du chat. Ed Med’com. 2ème édition. Paris. 2007.

• Garnier F. et coll. Endocrinologie des carnivores domestiques : quoi de neuf. La dépêche vétérinaire. Supplément technique. N° 106.2007.

 

[1] IRS : Inhibiteur de la recapture de la sérotonine et de la noradrénaline (antidépresseur et anxiolytique).

[2] SID : une fois par jour

[3] ISRS : inhibiteur sélectif de la recapture de la sérotonine qui permet de relancer la transmission de la sérotonine. Indiqué dans le syndrome Hs-Ha.

[4] BID : deux fois par jour (bis in die)

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